Des recherches de l’ALMA l’ont conduite à participer à une conférence à Arpajon-sur-Cère

Lundi 17 juin, l’ALMA, représentée par Sylvine Cros et Lucienne Jean, était invitée à participer à une conférence à Arpajon-sur-Cère dans le Cantal. Cette conférence et la pose d’une plaque près de la mairie d’Arpajon-sur-Cère (dévoilée le 18 juin après la commémoration de l’Appel du général de Gaulle) témoignent du désir de la municipalité d’honorer les habitants d’Arpajon-sur-Cère qui ont accueilli des familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale. Et si l’ALMA était présente c’est parce que nous avons fait des recherches à la demande d’Hélène Jelin, habitante de Lamorlaye qui fut accueillie avec sa famille à Arpajon-sur-Cère. Devant un public très nombreux (plus de 100 personnes) et avec la participation en visioconférence d’Hélène Jelin, la conférence s’est déroulée en trois temps.

Après l’accueil par Léo Pons, adjoint, Sylvine a retracé, avec beaucoup d’émotion, ce que furent ces années de guerre pour la famille d’Hélène Mokri-Jelin. A côté d’elle, Paule, la nièce d’Hélène, qui avait fait le voyage pour partager ce moment. Et avant cela, une intervention d’Hélène disant combien elle était heureuse que cette reconnaissance ait lieu. C’est dans ce but qu’elle nous avait demandé de faire des recherches.

Sylvine commence par s’adresser à Sylvain, le fils d’Hélène qui est présent en visio à côté de sa mère : « Un petit coucou à Sylvain Jelin, le fils d’Hélène qui est à ses côtés ce soir et qui découvre la vie de sa maman pendant la guerre. Je me souviens de sa réaction quand un jour au téléphone je lui parle d’Arpajon et qu’il s’exclame : « mais de quoi me parles tu ? J’ignore tout ! ». Alors voilà Sylvain c’est pour toi. »

Puis elle se tourne vers le public et raconte :

« Les parents d’Hélène sont polonais ;  ils vivent près de Varsovie qu’ils vont quitter quelques années après la naissance de son frère Albert (né en 1926), probablement début 1929 ; ils arrivent à Paris. Tailleur, son père trouve du travail facilement ; Hélène nait en 1929, son jeune frère Henri en 1932. ils habitent rue du château d’eau dans le 10ème arrondissement. En 1939 ils sont tous français.

Le 22 juin 1940, est décidée la ligne de démarcation qui sera mise en place dès le 25 divisant la France en zone libre et zone occupée. Le 3 octobre 1940, le premier statut des juifs entraîne les premiers internements des juifs étrangers. Le 7 octobre 1940, le tampon rouge « JUIF » devient obligatoire sur les cartes d’identité de tous les Français dès l’âge de 6 ans. Pour le père d’Hélène,  il faut partir en zone libre ; il choisit Lyon ;  c’est à Villeurbanne qu’ils trouvent un logement ;  et ils ne se seront jamais déclarés juifs. Fin 1940, Hélène part avec sa mère et ses frères ;  ils essaient de passer la ligne de démarcation une première fois mais sont arrêtés à Chalon-sur-Saône elle se souvient qu’elle a marché avec un groupe d’une vingtaine de personnes et un passeur, que le passeur a été tué, et qu’ils ont été incarcérés plus d’une semaine. Elle n’a jamais revu les personnes qui étaient avec elle. Etant de nationalité française, ils seront libérés : on leur conseille de regagner Paris. Mais Albert a compris qu’il faut rejoindre leur père ; c’est lui (il a 14 ans) qui trouve un autre passeur. Hélène se souvient être restée allongée dans l’herbe en attente du train :  le signal, c’était le sifflet du train, un train de marchandises, les prévenant en pleine nuit de courir et sauter dans le train. Elle se souvient en souriant de Macon : ils sont  attendus par des Résistants qui leur offrent du lait et des gâteaux. Dès son arrivée à Villeurbanne, elle réussit le concours d’entrée à l’école La Martinière ; ils resteront plus d’un an à Villeurbanne.

Sa tante Suzanne (Szema) est arrivée à Arpajon en 1941 puis elle est assignée à résidence à Chaudes-Aigues fin 41 ou début 42. Elle est de retour à Arpajon  avec son mari Jean Hubermann et leur fille Georgette, cousine germaine d’Hélène, en août 42. Pierre et Marie-Louise Mondot les accueillent : dans cette maison sont logés également le père de Marie-Louise et un chauffeur de l’entreprise de transport Mondot. C’est Suzanne qui va trouver la famille Laborie pour son frère : en 1943, Jean-Baptiste et Maria Laborie, un couple sans enfant, les accueillent. Hélène se souvient avoir vu 2 familles juives passer dans la maison.

Tout de suite, Hélène s’est sentie en sécurité à Arpajon ; c’était la campagne ; les enfants du village les avaient adoptés ; ils jouaient, se retrouvaient au bord de la Cère, presque une enfance normale, dit-elle avec le sourire. Une autre famille juive, les Czamez, était cachée ; leur fille Cécile était son amie. Hélène a été scolarisée à Aurillac au collège Jeanne de la Treille où elle est  pensionnaire avec Cécile. Son frère Henri est à l’école communale d’Arpajon. Rachel, la sœur de Cécile, est  à l’école communale des filles d’Arpajon dont la directrice était Madame Gastal. Hélène se souvient du cousin Germain de Cécile, Marcel Bramnic, champion de judo caché avec sa famille à Aurillac ; elle se souvient de son premier amoureux dont elle n’eut plus de nouvelles après la libération ; elle se souvient du commissaire Henri Weisbecker (un Juste parmi les Nations) qui les faisait prévenir dès qu’un danger s’annonçait : on cognait à la porte et il fallait courir vite dans la campagne ; elle se souvient de la directrice du collège Jeanne de la Treille qui l’a convoquée le jour du débarquement pour lui dire simplement « Les Anglais ont débarqué ». Elle se souvient surtout des enfants d’Arpajon qui les ont tout de suite intégrés : « Grâce à eux nous avons vécu mes frères et moi pendant 2 ans comme des enfants presque normaux »

Il y a eu 130 personnes juives cachées à Arpajon.

A la fin 44, la famille Mokri est remontée à Paris ; ils ont retrouvé leur appartement et Hélène a repris ses études ; puis elle s’est mariée avec Fernand Jelin.  ils ont monté ensemble une affaire d’étiquetage qu’un de ses petits- enfants a repris. Elle a eu 2 garçons Sylvain et Patrick, 5 petits-enfants, 7 arrière-petits-enfants.

Après ce rappel très émouvant, c’est au tour de Lucienne de raconter notre travail en commençant par la question qu’on peut légitimement se poser  » Pourquoi l’ALMA est-elle à Arpajon-sur-Cère » ? La raison se trouve dans la rencontre organisée en 2015 par l’ALMA avec Gérard Goldblum, un de nos adhérents qui nous a hélas quittés en 2022 et qui avait été lui aussi un enfant caché, à Marcillac, en Corrèze.

Hélène n’avait pas assisté à cette rencontre mais Sylvine (elle sont amies de longue date) lui en a parlé. et un jour, longtemps après, Hélène dit à Sylvine  » Moi aussi j’ai été une enfant cachée » et elle lui confie des bribes de souvenirs ; en juillet 2019, elle nous dit qu’elle aimerait retrouver et remercier la famille qui l’a accueillie ; nous écrivons au maire d’Arpajon-sur-Cère qui nous répond qu’il n’a aucune information pouvant nous aider… Grosse déception ! Nous cherchons à mieux connaître Arpajon-sur-Cère et en octobre 2019, nous découvrons un autre enfant caché à Arpajon : Roland Erbstein qui a mis un message sur le site ajpn.org. Quand nous essayons de le contacter, nous découvrons qu’il est décédé en 2017… Nous découvrons les coordonnées d’un de ses enfants Jean-Christophe Erbstein à qui nous écrivons. Il est intéressé par notre histoire mais ne nous aidera pas. Octobre-Novembre 2019,nous frappons à toutes les portes : les écoles d’Arpajon, les collèges d’Aurillac, la mairie d’Aurillac qui nous indique trois personnes susceptibles de nous aider : M. Danguiral, M. Labrousse et M. Rispal ; nous les contactons et à partir de ce moment l’aide de M. Rispal, qui se dénomme « historien de terrain » est décisive ! Il retrouve les maisons des Mondot et des Laborie qu’Hélène reconnait sur les photos qu’il nous envoie. Il nous envoie aussi les photos des belles portes des collèges Jeanne de la Treilhe et Sainte Geneviève à Aurillac : Hélène reconnait l’entrée du collège Jeanne de la Treilhe. Il nous envoie aussi le livre qu’il a écrit sur le Résistance autour d’Aurillac, des informations sur l’état civil des Mondot et des Laborie, sur le commissaire Weisbecker;… Et chaque information nouvelle, éveille ou précise les souvenirs d’Hélène.

Quand Sylvine a l’occasion de se rendre dans le Cantal à Chaudes Aigues, nos connaissances progressent ! Elle rencontre Jean-Michel Rallières qui est historien et a fait sa thèse de doctorat sur les Juifs dans le Cantal pendant la Seconde Guerre mondiale : c’est lui qui va assurer la partie historique de la conférence. Elle rencontre aussi Jean Favier qui a écrit de très nombreux ouvrages sur cette époque ; elle va au musée de la Résistance d’Antérieux ; elle va aux archives départementales … Et peu à peu les souvenirs d’Hélène se trouvent mis en perspective. En janvier 2023, grâce à l’intervention de Patrick Cros qui sollicite Gérard Holtz, le journal La Montagne publie un grand article sur l’histoire d’Hélène, article qui nous permettra de prendre contact avec Madame le Maire d’Arpajon-sur-Cère, élue en 2020 et que nous n’avions pas sollicitée… D’abord surprise, elle comprend bien vite notre bonne foi et est très intéressée par tout ce que révèle l’histoire d’Hélène.

Entre janvier et mars 2023, le projet de reconnaissance du courage et de la solidarité dont ont fait preuve les habitants d’Arpajon se précise et aboutit aujourd’hui ! Entre temps nous avons découvert un livre écrit par Jean-Jacques Erbstein, l’autre fils de Roland : nous lisons son roman (que nous vous recommandons) et nous prenons contact avec lui. Il ne pouvait pas venir à Arpajon mais était très heureux de cette reconnaissance. Le roman ne s’attarde pas beaucoup sur le séjour à Arpajon de Roland et de sa mère mais les détails qu’il donne sont très proches de ce dont Hélène se souvient. Jean-Jacques Erbstein nous a mises en relation avec Jean Boyer, historien lui aussi, qui a été l’ami de Roland Erbstein à Arpajon.

La troisième partie de cette conférence a donné la parole à Jean-Michel Rallières qui a retracé en nous montrant de très nombreux documents d’archives le parcours de la famille Hubermann (la tante d’Hélène) ; Jean Hubermann s’engage en 39, participe à la bataille de France et se trouve démobilisé à Aurillac. Après bien des difficultés, sa femme et ses filles pourront le rejoindre. Jean-Michel Rallières nous explique l’assignation à résidence (volonté de Vichy) pour ceux qui pouvaient subvenir à leurs besoins (et qui avait un certificat de travail) et l’internement dans des camps pour les autres, camps d’où ils ont été déportés. Il retrace aussi très précisément le parcours de la famille Mokri faisant intervenir Hélène à plusieurs reprises. Il a découvert que toute la famille avait été « dénaturalisée »; ils n’en ont rien su et l’administration de Vichy non plus car M. Mokri n’avait pas obéi à l’obligation de se déclarer comme « juif ». La « dénaturalisation » a été annulée à la Libération sans que la famille Mokri en soit consciente !

Quand Hélène est intervenue à la fin de la conférence pour remercier la municipalité, la salle toute entière s’est levée pour l’applaudir !

M. Rispal est intervenu ensuite pour apporter des précisions sur certaines familles et sur Henri Weisbecker : M. Rispal a contribué par ses travaux à la reconnaissance comme Juste de ce commissaire fabricant de faux papiers !

Le lendemain, 18 juin, nous avons participé à la cérémonie devant le monument aux morts d’Arpajon puis Sylvine et M. Pons ont dévoilé la plaque :

Un grand merci à la ville d’Arpajon-sur-Cère pour cet hommage rendu à l’action des habitants d’Arpajon pendant l’Occupation. Merci de nous y avoir pleinement associées ! Merci et bravo pour toute l’organisation, de la gestion de la visioconférence aux moments conviviaux, verre de l’amitié en main !

Une réflexion au sujet de « Des recherches de l’ALMA l’ont conduite à participer à une conférence à Arpajon-sur-Cère »

  1. Bonjour Mesdames et Messieurs, 

    J’ai été touché par l’évocation de cette cérémonie en hommage à l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle avec le dévoilement d’une plaque en hommage aux habitants d’Arpajon-sur-Cère qui ont sauvé plusieurs familles juives.
    Un refuge dans le Cantat pour ces familles juives cachées par la population confrontées aux persécutions antisémites de l’Allemagne nazie et de la France de Vichy.

    Merci à Lucienne Jean et Sylvine Cros présentes au nom de L’ALMA avec Hélène Jelin, enfant cachée et habitante de Lamorlaye : Leur travail acharné a permis de révéler l’ampleur de l’engagement des Arpajonnaises et Arpajonnais pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Nous avons tous un devoir de mémoire.

    Vous le savez tous, mais il est toujours important de le rappeler pour les nouvelles générations. 
    Les 16 et 17 juillet 1942 lors de la rafle du Vél’d’Hiv.
    12 884 hommes, femmes et enfants juifs sont arrêtés par la police parisienne ; ils seront presque tous déportés à Auschwitz et exterminés par les Nazis.
    IZieu : quarante-quatre enfants et sept adultes déportés en 1944 sur les ordres de Klaus Barbie, déportés à Auschwitz-Birkenau et assassinés dès leur arrivée.

    Jusqu’aux derniers jours de la guerre. Oradour-sur- Glane pillé et incendié, les nazis exécutent au hasard 642 personnes. Femmes et enfants sont massacrés dans l’église. 

    ______________

    Morts dans les camps de concentration : 300 000.

    Morts dans les ghettos : 800 000.

    Morts par exécutions : 2 700 000.

    Les historiens estiment que probablement le nombre de victimes juives s’élèverait à 6 millions.
    50 % de la population juive d’Europe assassinés, exterminés.

    Merci Imblemen à vous tous de me donner l’opportunité de m’exprimer sur ce qui nous tient tous à cœur.

    Gérard Podevin 

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